1 00:00:05,070 --> 00:00:09,810 Bonjour, pour terminer sur la question de l'application de l'article 6 2 00:00:10,140 --> 00:00:14,610 aux sanctions de l'administration fiscale, un point intéressant de 3 00:00:14,810 --> 00:00:16,390 divergence mérite d'être noté. 4 00:00:16,590 --> 00:00:18,630 En effet, la Cour européenne des droits de l'homme, la Cour de 5 00:00:18,830 --> 00:00:22,320 cassation, le Conseil d'État convergent a priori pour considérer qu'il 6 00:00:23,460 --> 00:00:26,310 leur revient d'appliquer pleinement, il revient à l'ensemble de ces 7 00:00:26,510 --> 00:00:30,240 juridictions d'appliquer pleinement les exigences de l'article 6 à 8 00:00:30,440 --> 00:00:33,720 la phase juridictionnelle donc d'examen des sanctions susceptibles 9 00:00:33,920 --> 00:00:35,160 de frapper les contribuables. 10 00:00:35,360 --> 00:00:39,900 Mais toute la question est de savoir ce que signifie concrètement cette 11 00:00:40,100 --> 00:00:43,950 application pleine et entière, et en particulier le plein pouvoir 12 00:00:45,450 --> 00:00:52,140 du juge, le plein pouvoir de contrôle des sanctions que le juge doit mener. 13 00:00:52,340 --> 00:00:55,170 Alors, plus précisément, vous allez le comprendre, 14 00:00:55,770 --> 00:00:59,880 la difficulté porte sur le fait qu'en matière fiscale, 15 00:01:00,180 --> 00:01:02,220 la plupart des sanctions, comme je vous l'indiquais, 16 00:01:03,000 --> 00:01:06,660 sont établies sur la base des articles 1728 et 1729 du Code général des 17 00:01:06,860 --> 00:01:08,450 impôts, sous la forme de majorations. 18 00:01:08,650 --> 00:01:11,790 Donc la loi indique que dans telle ou telle situation, eh bien 19 00:01:11,990 --> 00:01:15,700 l'administration doit sanctionner le contribuable à hauteur de 40 20 00:01:15,900 --> 00:01:19,230 % de l'impôt éludé, de 80 % de l'impôt éludé, bref, 21 00:01:20,130 --> 00:01:23,130 d'un taux fixe qui est déterminé par la loi. 22 00:01:23,520 --> 00:01:27,810 Et donc les choses ne se présentent pas de la même manière en matière 23 00:01:28,010 --> 00:01:29,340 pénale, par exemple, puisqu'en matière pénale, 24 00:01:29,540 --> 00:01:33,060 vous le savez, les peines fixées par le Code pénal ou par d'autres 25 00:01:33,260 --> 00:01:36,060 dispositions législatives sont en fait des peines plafond. 26 00:01:37,050 --> 00:01:40,200 Et il appartient au juge pénal, justement, d'adapter, 27 00:01:41,970 --> 00:01:47,520 en fonction de l'infraction exactement commise, de la personnalité de 28 00:01:47,720 --> 00:01:53,130 celui qui l'a commise, d'adapter donc cette sanction dans 29 00:01:53,330 --> 00:01:56,520 une échelle, finalement, qui ne le contraint pas tout à 30 00:01:56,720 --> 00:01:59,520 fait dès lors, évidemment, qu'il reste dans la fourchette 31 00:01:59,940 --> 00:02:01,800 fixée par les dispositions législatives. 32 00:02:02,000 --> 00:02:05,430 Il y a donc une possibilité, c'est même une exigence liée à 33 00:02:05,630 --> 00:02:09,750 la proportionnalité et au principe d'individualisation de la peine pénale, 34 00:02:10,020 --> 00:02:13,680 il y a donc une exigence d'adapter précisément la réponse pénale, 35 00:02:13,880 --> 00:02:17,160 le montant, le niveau de la sanction à l'infraction. 36 00:02:18,120 --> 00:02:20,790 En matière fiscale, la question s'est posée de savoir si le juge 37 00:02:21,090 --> 00:02:23,370 devait avoir ce même pouvoir de modulation. 38 00:02:23,670 --> 00:02:26,580 La loi ne lui donne pas, mais, et c'est là qu'une divergence 39 00:02:26,780 --> 00:02:32,730 apparaît, la Cour de cassation a considéré, dans une décision de 1997, 40 00:02:32,930 --> 00:02:36,510 plus précisément une décision de la chambre commerciale du 29 avril 41 00:02:37,170 --> 00:02:42,150 1997 Ferreira qu'il lui appartenait, pour respecter les exigences de 42 00:02:42,350 --> 00:02:44,640 la Convention européenne des droits de l'homme, pour conduire un plein 43 00:02:44,840 --> 00:02:47,430 contrôle des sanctions que l'administration fiscale avait 44 00:02:47,630 --> 00:02:52,590 pu éviter, eh bien le cas échéant, de moduler le montant de la sanction 45 00:02:53,130 --> 00:02:57,060 et donc de moduler finalement le taux de majoration qui pourtant, 46 00:02:57,260 --> 00:03:01,260 au terme de la loi, est un taux fixe, 40 %, 80 %, 100 % selon la nature 47 00:03:01,460 --> 00:03:03,360 exacte de l'infraction. 48 00:03:03,570 --> 00:03:10,830 Donc pourquoi pas 40 % pour être ramené à 38 ou à 25 % ou 26 % dans 49 00:03:11,030 --> 00:03:13,620 l'hypothèse d'un contribuable qui aurait quelques excuses à faire 50 00:03:13,820 --> 00:03:14,580 valoir ou que sais-je encore. 51 00:03:15,360 --> 00:03:19,050 Le Conseil d'État de son côté, mais de manière assez contemporaine, 52 00:03:19,250 --> 00:03:24,120 dans un arrêt du 8 juillet 1998, Fattel, a considéré absolument 53 00:03:24,320 --> 00:03:30,660 l'inverse, en estimant qu'il ne lui appartenait pas de se substituer 54 00:03:30,860 --> 00:03:33,210 finalement au législateur en modulant le taux des sanctions, 55 00:03:33,410 --> 00:03:38,070 mais simplement de contrôler que l'administration avait appliqué 56 00:03:38,270 --> 00:03:43,500 le taux légal approprié donc opération de qualification juridique des 57 00:03:43,700 --> 00:03:47,100 faits pour savoir si les faits entrent effectivement dans la case 58 00:03:47,300 --> 00:03:51,510 juridique relative à l'infraction X ou Y prévue par le Code général 59 00:03:51,710 --> 00:03:54,660 des impôts, mais qu'après, c'est une manière en quelque sorte 60 00:03:54,860 --> 00:03:59,580 automatique, que le taux de 40 ou 80 %, par exemple, devait trouver être 61 00:03:59,850 --> 00:04:02,520 appliqué sans possibilité de moduler ces taux. 62 00:04:02,720 --> 00:04:04,800 Alors il se trouve que la Cour européenne des droits de l'homme 63 00:04:05,000 --> 00:04:07,650 a été saisie et a été saisie en particulier de la jurisprudence 64 00:04:07,850 --> 00:04:12,120 du Conseil d'Etat pour vérifier qu'elle était ou non conforme aux 65 00:04:12,320 --> 00:04:14,820 exigences de la Convention, et la Cour européenne des droits 66 00:04:15,020 --> 00:04:18,570 de l'homme, dans un arrêt du 7 juin 2012 Segame, société Segame, 67 00:04:18,770 --> 00:04:22,950 donc une société française, qui contestait donc la non-modulation 68 00:04:23,580 --> 00:04:28,050 d'un taux de sanction par les juges administratifs, la Cour de Strasbourg, 69 00:04:28,250 --> 00:04:31,140 donc dans cet arrêt 2012 Segame, a en quelque sorte donné raison 70 00:04:31,340 --> 00:04:36,150 au Conseil d'État en considérant qu'il ne lui appartenait pas, 71 00:04:36,350 --> 00:04:38,580 qu'il n'appartenait pas aux juridictions fiscales en général 72 00:04:38,880 --> 00:04:44,460 de moduler les taux législatifs et que ces taux étaient suffisants 73 00:04:44,660 --> 00:04:47,550 dans la manière dont ils étaient finalement déterminés, 74 00:04:48,420 --> 00:04:51,930 pour garantir tout de même une forme d'individualisation suffisante 75 00:04:52,130 --> 00:04:54,180 de la peine, en tout cas, plus exactement, un niveau de 76 00:04:54,380 --> 00:04:57,870 proportionnalité, un niveau d'adéquation entre la sanction 77 00:04:58,070 --> 00:05:03,180 et la peine de sorte que l'article ait tout à fait satisfait par 78 00:05:03,380 --> 00:05:05,130 l'application de ces taux fixés par la loi. 79 00:05:05,330 --> 00:05:08,520 Alors il se trouve, vous l'imaginez, que les membres du Conseil d'État 80 00:05:08,720 --> 00:05:11,550 ont immédiatement sabré le champagne en considérant qu'ils étaient tellement 81 00:05:11,750 --> 00:05:13,620 plus malins que leurs collègues de la Cour de cassation, 82 00:05:14,010 --> 00:05:15,960 ce qui prête à discussion. 83 00:05:16,350 --> 00:05:19,980 En effet, il y a deux points de vue, je crois, qui méritent d'être soulevés. 84 00:05:20,730 --> 00:05:23,940 En effet, d'un côté, on ne peut pas déduire de la 85 00:05:24,140 --> 00:05:27,210 jurisprudence de la Cour de Strasbourg de 2012 que la Cour de cassation 86 00:05:27,410 --> 00:05:31,470 a eu tort d'adopter la décision qu'elle a adoptée et sur laquelle 87 00:05:31,670 --> 00:05:35,130 elle n'est jamais revenue depuis lors, d'ailleurs, tout simplement parce que, 88 00:05:35,330 --> 00:05:39,540 comme nous le disions précédemment, la Convention européenne des droits 89 00:05:39,740 --> 00:05:43,740 de l'homme fixe un standard minimal de respect des droits de l'homme, 90 00:05:44,160 --> 00:05:47,500 de sorte que ce n'est pas parce que le Conseil d'État respecte 91 00:05:47,700 --> 00:05:50,760 ce standard minimal, comme l'a constaté la Cour de 92 00:05:50,960 --> 00:05:53,730 Strasbourg, que la Cour de cassation en faisant plus, finalement, 93 00:05:54,630 --> 00:05:57,930 en donnant plus de garanties, c'est en tout cas son idée, 94 00:05:58,290 --> 00:06:01,320 aux contribuables, ce n'est pas en cela qu'elle respecte moins 95 00:06:01,520 --> 00:06:02,280 la convention. 96 00:06:02,480 --> 00:06:04,860 Elle la respecte, même encore plus finalement. 97 00:06:05,280 --> 00:06:08,070 Et donc on ne peut pas déduire, je le répète, de la décision de 98 00:06:08,270 --> 00:06:10,770 la Cour de Strasbourg que la jurisprudence de la Cour de cassation 99 00:06:10,970 --> 00:06:14,220 serait erronée, serait fausse, elle est au contraire peut-être 100 00:06:14,460 --> 00:06:17,880 un peu plus dans la vérité de l'esprit même de la Convention qui évidemment, 101 00:06:19,020 --> 00:06:24,450 tend à développer les droits de l'homme dans tous leurs aspects 102 00:06:25,560 --> 00:06:28,980 et en cela, les contrôles opérés par les juridictions judiciaires, 103 00:06:29,180 --> 00:06:32,760 donc sur les sanctions fiscales, peuvent sembler plus en phase avec 104 00:06:33,330 --> 00:06:36,570 l'esprit, voire même la lettre de la Convention européenne des 105 00:06:36,770 --> 00:06:37,530 droits de l'homme. 106 00:06:37,730 --> 00:06:41,700 Néanmoins, où on peut aussi, je pense, prendre quand même ses 107 00:06:41,900 --> 00:06:44,360 distances avec le point de vue de la Cour de cassation, 108 00:06:44,560 --> 00:06:48,210 c'est que d'une part, en pratique, il est assez difficile 109 00:06:48,410 --> 00:06:53,250 de moduler ces taux et à ma connaissance, il est pratiquement 110 00:06:54,450 --> 00:07:02,210 exceptionnel, voire tout à fait, enfin ça n'arrive sans doute jamais, 111 00:07:02,410 --> 00:07:06,540 que des juridictions judiciaires qui, alors nous le verrons, 112 00:07:06,740 --> 00:07:09,180 mais ne sont que assez peu saisies à la vérité en matière fiscale, 113 00:07:09,380 --> 00:07:13,290 quelques petites centaines de cas par an, car seuls certains impôts 114 00:07:13,490 --> 00:07:14,970 font l'objet d'un contrôle par le juge judiciaire, en tout cas, 115 00:07:15,300 --> 00:07:20,490 il est rarissime, voire inexistant, que ces juridictions, 116 00:07:20,690 --> 00:07:24,600 effectivement, se saisissent de ce pouvoir de modulation que la 117 00:07:24,800 --> 00:07:26,880 Cour de cassation leur a reconnu. 118 00:07:27,120 --> 00:07:30,510 Donc l'enjeu n'est en fait que théorique, me semble-t-il, 119 00:07:30,870 --> 00:07:33,870 et même sur le plan théorique et pratique aussi tout de même, 120 00:07:35,040 --> 00:07:39,390 on doit sans doute se satisfaire de cette situation qui conduit 121 00:07:40,290 --> 00:07:42,810 le juge à se contenter, en matière administrative, 122 00:07:43,080 --> 00:07:46,230 d'appliquer toujours les taux légaux et seulement ces taux légaux, 123 00:07:46,560 --> 00:07:50,670 puisque cela assure au moins une forme d'uniformité dans le traitement 124 00:07:50,870 --> 00:07:54,480 des infractions fiscales à l'échelle du territoire et cela évite aussi 125 00:07:54,680 --> 00:07:58,980 finalement, de rentrer dans des discussions relatives au comportement 126 00:07:59,180 --> 00:08:02,070 du contribuable aux excuses qu'il pourrait se trouver à cette forme 127 00:08:02,270 --> 00:08:07,080 finalement d'adaptation à chaque comportement de la peine fiscale, 128 00:08:07,860 --> 00:08:12,800 ce qui, vraisemblablement, nuirait considérablement ou tout 129 00:08:13,000 --> 00:08:22,980 simplement au caractère préventif de ces dispositifs, on ne peut 130 00:08:23,180 --> 00:08:26,610 pas considérer, me semble-t-il, que la commission d'une infraction 131 00:08:26,810 --> 00:08:29,070 fiscale est tout à fait assimilable à la commission d'une infraction 132 00:08:29,270 --> 00:08:35,290 en matière pénale, où il faudrait effectivement vérifier que l'assassin, 133 00:08:35,490 --> 00:08:40,500 ou tout simplement l'auteur d'une infraction, a eu des difficultés 134 00:08:40,700 --> 00:08:46,200 dans son enfance ou peut éventuellement faire état de je ne sais quel problème 135 00:08:46,400 --> 00:08:48,660 d'ordre personnel qui mériterait sans doute d'être pris en compte 136 00:08:48,930 --> 00:08:50,940 devant une cour d'assises ou un tribunal correctionnel, 137 00:08:51,140 --> 00:08:53,760 mais qui, dans le cadre d'une discussion fiscale, semble tout 138 00:08:53,960 --> 00:08:56,910 de même un peu hors de propos et mérite, à mon sens, de rester hors 139 00:08:57,110 --> 00:09:00,720 de propos, tout simplement pour rester sur des questions techniques 140 00:09:01,020 --> 00:09:04,890 et évidemment aussi des questions liées à l'intention, 141 00:09:05,090 --> 00:09:07,980 mais à l'intention fiscale, à l'intention de violer la loi fiscale, 142 00:09:08,220 --> 00:09:11,340 ce sur quoi aujourd'hui se concentrent l'administration fiscale et les 143 00:09:11,540 --> 00:09:12,300 juridictions. 144 00:09:12,500 --> 00:09:17,010 Bref, l'attitude des juridictions administratives est celle qui, 145 00:09:17,210 --> 00:09:20,130 en pratique, celle des juridictions judiciaires consistant à ne pas 146 00:09:20,330 --> 00:09:23,160 finalement s'interroger sur le point de savoir si les taux prévus 147 00:09:23,360 --> 00:09:26,910 par la loi sont tout à fait adéquats ou s'ils méritent d'être légèrement 148 00:09:27,110 --> 00:09:31,050 baissés, cette attitude est sans doute tout à fait acceptable, 149 00:09:31,250 --> 00:09:34,620 n'est pas fondamentalement défavorable à la plupart des contribuables 150 00:09:34,830 --> 00:09:37,860 et je termine là-dessus, permet d'assurer une forme d'égalité 151 00:09:38,060 --> 00:09:41,460 de traitement des dossiers équivalents à l'échelle nationale, 152 00:09:41,660 --> 00:09:45,030 ce qui est tout de même une exigence importante en matière fiscale, 153 00:09:45,570 --> 00:09:49,350 exigence aussi d'égalité devant les charges publiques qui se trouvent 154 00:09:49,550 --> 00:09:50,460 ainsi satisfaites. 155 00:09:51,450 --> 00:09:53,730 Voilà donc pour l'article 6. 156 00:09:54,200 --> 00:09:57,330 Alors parallèlement à cela, et plus intéressant et plus important 157 00:09:57,530 --> 00:10:01,370 à mon sens, l'article premier du protocole premier à la Convention 158 00:10:01,570 --> 00:10:04,140 trouve également à s'appliquer de plus en plus en matière fiscale. 159 00:10:04,440 --> 00:10:09,030 Voyons cela dans un second paragraphe donc l'article 1P1, selon l'expression 160 00:10:09,230 --> 00:10:13,590 employée par la doctrine assez classiquement. 161 00:10:13,790 --> 00:10:17,280 Rappel d'abord, la Convention européenne des droits de l'homme 162 00:10:17,480 --> 00:10:20,850 a fait l'objet d'un certain nombre d'ajouts, alors non pas par voie 163 00:10:21,050 --> 00:10:24,390 d'avenant, ce n'est pas l'expression employée, mais par la voie, 164 00:10:24,590 --> 00:10:30,210 donc, de ces protocoles additionnels qui viennent donc ajouter des morceaux, 165 00:10:30,410 --> 00:10:32,010 si je puis dire, à la Convention européenne. 166 00:10:32,210 --> 00:10:37,470 Et donc le premier de ces protocoles additionnels a été signé et adopté 167 00:10:37,670 --> 00:10:43,110 en 1952, alors ratifié lui aussi par la France en 1974, 168 00:10:43,440 --> 00:10:48,210 mais donc ce protocole pose un certain nombre d'exigences, 169 00:10:48,410 --> 00:10:52,860 et notamment à son article premier, l'exigence du respect des biens, 170 00:10:53,130 --> 00:10:57,060 c'est le droit dû aux biens qui est ici concerné. 171 00:10:57,260 --> 00:11:00,780 Alors je cite, rapidement mais tout de même, cet article premier 172 00:11:00,980 --> 00:11:02,190 du premier protocole additionnel. 173 00:11:02,390 --> 00:11:05,190 Toute personne physique ou morale, on le note, les entreprises, 174 00:11:05,390 --> 00:11:08,340 notamment, sont tout à fait concernées au même titre que les particuliers, 175 00:11:08,760 --> 00:11:10,530 a droit au respect de ses biens. 176 00:11:11,130 --> 00:11:14,100 Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique 177 00:11:14,300 --> 00:11:15,840 et dans les conditions prévues par la loi, les principes généraux 178 00:11:16,040 --> 00:11:16,800 du droit international. 179 00:11:17,000 --> 00:11:21,750 Bref, respect dû aux biens des particuliers, des entreprises. 180 00:11:22,080 --> 00:11:27,810 Seule l'utilité publique peut justifier une privation de propriété, 181 00:11:28,010 --> 00:11:30,320 voilà ce que nous indiquent ces dispositions. 182 00:11:30,520 --> 00:11:32,250 Et il y a tout de suite une précision qui nous intéresse. 183 00:11:32,850 --> 00:11:35,400 Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que 184 00:11:35,600 --> 00:11:36,720 possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent 185 00:11:36,920 --> 00:11:39,120 nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt 186 00:11:39,320 --> 00:11:44,250 général ou pour assurer le paiement des impôts ou toute autre contribution 187 00:11:44,450 --> 00:11:46,560 ou amende, d'autres contributions ou des amendes. 188 00:11:46,760 --> 00:11:50,760 Bref, l'article 1P1 vise expressément la matière fiscale. 189 00:11:50,960 --> 00:11:51,720 Alors pour dire quoi ? 190 00:11:52,050 --> 00:11:55,580 Pour dire qu'implicitement, évidemment, la matière fiscale, 191 00:11:55,780 --> 00:11:59,940 l'impôt frappe les biens, la propriété des contribuables, 192 00:12:01,080 --> 00:12:03,870 c'est une atteinte évidente, mais c'est une atteinte qui est 193 00:12:04,070 --> 00:12:05,010 évidemment acceptable. 194 00:12:05,460 --> 00:12:07,260 La Convention européenne des droits de l'homme ne va pas interdire 195 00:12:07,460 --> 00:12:09,960 aux États de lever l'impôt, ne va pas interdire aux États ni 196 00:12:10,160 --> 00:12:15,030 de réglementer, ni de prélever des éléments de propriété des personnes 197 00:12:15,540 --> 00:12:17,160 concernées donc des contribuables. 198 00:12:17,360 --> 00:12:21,660 Néanmoins, et c'est ce point qui est essentiel, en indiquant que 199 00:12:21,860 --> 00:12:24,780 ces privations de propriété, ces atteintes aux biens doivent 200 00:12:24,980 --> 00:12:28,590 être justifiées par l'utilité publique, doivent tenir compte de l'intérêt 201 00:12:28,790 --> 00:12:31,020 général, ces deux expressions apparaissent dans la disposition 202 00:12:31,220 --> 00:12:35,580 que nous venons de lire, la Convention et à sa suite la 203 00:12:35,780 --> 00:12:40,380 Cour européenne des droits de l'homme, viennent finalement permettre à 204 00:12:40,580 --> 00:12:44,640 l'ensemble des juridictions de l'ensemble des États du Conseil 205 00:12:44,840 --> 00:12:49,710 de l'Europe, eh bien de regarder, de vérifier, de contrôler que les 206 00:12:49,910 --> 00:12:54,480 différentes dispositions fiscales qui en effet, viennent par hypothèse 207 00:12:54,750 --> 00:12:57,690 porter atteinte aux biens des contribuables, eh bien sont 208 00:12:57,890 --> 00:13:01,680 effectivement justifiées par l'utilité publique, par l'intérêt général 209 00:13:01,880 --> 00:13:06,000 et donc indirectement, avec cette disposition, c'est la possibilité 210 00:13:06,200 --> 00:13:09,420 pour tous les juges fiscaux d'opérer un contrôle de conventionnalité 211 00:13:09,620 --> 00:13:11,070 de l'ensemble des lois fiscales. 212 00:13:11,430 --> 00:13:13,260 C'est donc tout à fait prodigieux. 213 00:13:13,460 --> 00:13:17,400 C'est une arme, en tout cas a priori prodigieuse, dont dispose l'ensemble 214 00:13:17,600 --> 00:13:21,000 des juridictions fiscales avec cet article premier du premier 215 00:13:21,200 --> 00:13:21,960 protocole additionnel. 216 00:13:22,160 --> 00:13:26,250 Alors il se trouve, et nous le verrons dans un second temps, 217 00:13:26,520 --> 00:13:32,940 que cet article a ensuite un intérêt particulier qui est qu'il permet, 218 00:13:33,140 --> 00:13:34,980 lorsqu'il est invocable, d'invoquer en quelque sorte, 219 00:13:35,180 --> 00:13:38,730 par ricochet, d'autres dispositions et notamment celle de l'article 14, 220 00:13:39,300 --> 00:13:40,890 j'y viens dans une seconde. 221 00:13:41,340 --> 00:13:47,640 Mais commençons par envisager justement cette invocabilité de l'article 222 00:13:47,840 --> 00:13:50,490 premier du premier protocole additionnel, c'est-à-dire les cas 223 00:13:50,690 --> 00:13:54,270 dans lesquels il est possible pour un contribuable de se plaindre 224 00:13:54,470 --> 00:13:58,200 d'une éventuelle violation par la loi des exigences de cet article. 225 00:13:58,500 --> 00:14:01,530 Nous verrons ensuite les modalités d'application concrète de cet article, 226 00:14:01,800 --> 00:14:03,810 notamment à l'échelle nationale. 227 00:14:04,010 --> 00:14:07,370 Alors, l'invocabilité d'abord, je suggérais à l'instant, 228 00:14:07,770 --> 00:14:12,600 A donc, l'invocabilité est extrêmement large, a priori, toute loi fiscale, 229 00:14:12,800 --> 00:14:16,560 directement ou indirectement, porte atteinte, vise à porter atteinte 230 00:14:16,830 --> 00:14:18,330 aux biens des particuliers. 231 00:14:18,530 --> 00:14:24,180 Alors le point essentiel, c'est que le fait que cette possibilité 232 00:14:24,380 --> 00:14:26,880 d'invoquer l'article 1P1 soit tout à fait reconnue en droit interne, 233 00:14:27,290 --> 00:14:31,230 a été consacrée assez tardivement par les juridictions nationales, 234 00:14:31,440 --> 00:14:35,040 mais vraisemblablement parce que les contribuables posaient assez 235 00:14:35,240 --> 00:14:38,070 peu la question, soulevaient assez peu finalement une éventuelle violation 236 00:14:38,700 --> 00:14:40,530 de la Convention européenne des droits l'homme en matière fiscale, 237 00:14:40,770 --> 00:14:43,890 mais il y a un avis contentieux du Conseil d'État, donc c'est à 238 00:14:44,090 --> 00:14:47,580 peu près l'équivalent d'un arrêt, en termes de portée juridique en 239 00:14:47,780 --> 00:14:50,940 tout cas, mais un avis contentieux du Conseil d'État, avis d'assemblée 240 00:14:51,140 --> 00:14:56,520 du 12 avril 2002, société financière Labeyrie qui vient expressément 241 00:14:56,730 --> 00:15:00,330 reconnaître cette possibilité pour les contribuables d'invoquer une 242 00:15:00,530 --> 00:15:05,130 éventuelle violation de l'article 1P1 pour toute atteinte donc à 243 00:15:05,330 --> 00:15:10,710 leur propriété et donc tout simplement à ce qu'ils ont dans la poche, 244 00:15:10,910 --> 00:15:14,130 dont ils sont évidemment propriétaires, j'entends par là les sommes qu'ils 245 00:15:14,330 --> 00:15:15,840 doivent payer au titre de l'impôt. 246 00:15:16,530 --> 00:15:20,130 Où les choses sont devenues plus intéressantes et plus sophistiquées, 247 00:15:20,700 --> 00:15:25,630 c'est que le mot "bien" qui est au cœur évidemment de l'article 1P1, 248 00:15:26,430 --> 00:15:29,190 trouve dans la jurisprudence d'abord de la Cour européenne des droits 249 00:15:29,390 --> 00:15:31,380 de l'homme, et également dans la jurisprudence de la Cour de cassation 250 00:15:31,580 --> 00:15:34,320 et du Conseil d'État en France, une interprétation assez extensive, 251 00:15:34,520 --> 00:15:38,100 c'est-à-dire qu'un bien, ce n'est pas seulement quelque 252 00:15:38,300 --> 00:15:42,240 chose dont on est propriétaire, un bien, cela peut être plein d'autres 253 00:15:42,440 --> 00:15:45,900 choses, avec lequel on entretient un lien de droit parfois un peu 254 00:15:46,100 --> 00:15:46,860 distendu. 255 00:15:47,220 --> 00:15:50,670 Et ce point est tout à fait essentiel puisque, dans certaines situations, 256 00:15:51,270 --> 00:15:53,940 la Cour européenne des droits de l'homme va finalement admettre 257 00:15:54,300 --> 00:16:00,660 que certaines créances ou même certaines espérances de bénéficier 258 00:16:00,860 --> 00:16:05,790 d'une créance soient assimilées à un bien et qu'une protection 259 00:16:05,990 --> 00:16:09,480 leur soit accordée quand bien même parfois le droit interne ne prévoit 260 00:16:09,680 --> 00:16:12,540 pas de protection de ces différents biens. 261 00:16:13,410 --> 00:16:16,920 Il y a donc un enjeu majeur et vous allez le voir, assez, 262 00:16:17,120 --> 00:16:20,760 je crois essentiel au-delà de la matière fiscale derrière cette 263 00:16:20,960 --> 00:16:23,670 question de la définition des biens au sens de la Convention européenne 264 00:16:23,870 --> 00:16:25,830 des droits de l'homme et c'est ce que nous verrons la prochaine 265 00:16:26,030 --> 00:16:26,790 fois.