1 00:00:05,550 --> 00:00:06,310 Bonjour. 2 00:00:06,660 --> 00:00:09,390 Terminons l'étude de la Convention européenne des droits de l'homme 3 00:00:09,590 --> 00:00:13,740 et des modalités d'application de l'article 1P1 avec une dernière 4 00:00:13,940 --> 00:00:17,670 série de décisions tout à fait fascinantes, à mon sens, 5 00:00:18,270 --> 00:00:22,080 vous le verrez, qui donc fait suite à cette série de décisions, 6 00:00:22,280 --> 00:00:25,800 aux deux premières décisions importantes, trois premières décisions, 7 00:00:26,000 --> 00:00:29,610 à la vérité puisqu'il y avait l'avis Labeyrie, puis l'arrêt Sarteur de 2005, 8 00:00:29,810 --> 00:00:33,840 puis l'arrêt SNC Peugeot Citroën Mulhouse de 2011 et enfin, 9 00:00:34,560 --> 00:00:39,690 si je puis dire, nouveau tournant important, un arrêt à nouveau, 10 00:00:39,900 --> 00:00:42,870 toujours du Conseil d'État, de plénière fiscale, 11 00:00:43,070 --> 00:00:46,470 oui, c'est bien cela, donc l'information solennelle fiscale 12 00:00:46,670 --> 00:00:52,910 du Conseil d'État du 9 mai 2012 Société EPI. 13 00:00:53,820 --> 00:00:57,990 Alors dans cet arrêt de 2012 Société EPI, une nouvelle situation se 14 00:00:58,190 --> 00:01:00,270 présente au Conseil d'État, assez simple à décrire, 15 00:01:00,540 --> 00:01:04,140 qui consistait en fait en ce que le législateur avait créé quelques 16 00:01:04,340 --> 00:01:07,170 années auparavant un cadeau fiscal, disons-le comme ça, en fait un 17 00:01:07,370 --> 00:01:10,380 régime favorable de crédit d'impôt mais peu importe, un cadeau fiscal 18 00:01:10,710 --> 00:01:14,400 à destination des entreprises qui s'engageaient à embaucher un certain 19 00:01:14,600 --> 00:01:18,000 nombre d'employés et qui donc, en échange en quelque sorte, 20 00:01:18,240 --> 00:01:22,410 devaient bénéficier sur trois années consécutives d'un cadeau fiscal. 21 00:01:23,280 --> 00:01:27,360 Et il se trouve qu'au bout d'un an, le législateur considère que ce 22 00:01:27,560 --> 00:01:31,950 dispositif, sans doute manque d'intérêt, n'est pas aussi satisfaisant 23 00:01:32,150 --> 00:01:36,180 que prévu et le législateur décide, mais seulement pour l'avenir, 24 00:01:36,540 --> 00:01:37,950 de supprimer le dispositif. 25 00:01:38,670 --> 00:01:42,630 Et donc le dispositif est effectivement servi pendant un an et une société 26 00:01:42,830 --> 00:01:45,840 qui embauche du personnel, la société EPI, bénéficie de son 27 00:01:46,040 --> 00:01:49,530 cadeau fiscal comme prévu la première année, mais après l'intervention 28 00:01:50,010 --> 00:01:53,400 de la loi donc cette nouvelle loi qui vient abroger finalement le 29 00:01:53,600 --> 00:01:56,940 mécanisme en cours de route, si je puis dire, ne bénéficie plus 30 00:01:57,140 --> 00:01:58,590 du cadeau pour les années deux et trois. 31 00:01:59,130 --> 00:02:05,820 Cette société se tourne vers les juridictions avec une argumentation 32 00:02:06,020 --> 00:02:10,470 extrêmement intéressante consistant à dire que, certes, la loi qui 33 00:02:10,670 --> 00:02:12,990 est venue supprimer finalement pour l'avenir l'avantage n'est 34 00:02:13,190 --> 00:02:15,570 pas rétroactive, elle n'est pas rétroactive de sorte que le 35 00:02:15,770 --> 00:02:19,230 raisonnement déployé en 2011 par le Conseil d'État ne trouve pas 36 00:02:19,430 --> 00:02:22,620 à s'appliquer et que pour la peine, sur le terrain constitutionnel, 37 00:02:22,820 --> 00:02:27,510 à l'époque, rien n'était susceptible d'être mobilisé puisque en réalité, 38 00:02:27,710 --> 00:02:31,350 il s'agit simplement d'une appréciation de l'intérêt général qui évolue 39 00:02:31,550 --> 00:02:32,670 dans l'esprit du législateur. 40 00:02:32,870 --> 00:02:36,420 Le législateur avait créé un avantage, il souhaite le faire disparaître 41 00:02:36,620 --> 00:02:37,380 pour l'avenir. 42 00:02:37,580 --> 00:02:39,960 Il n'y a a priori aucune prise particulière au contrôle de 43 00:02:40,160 --> 00:02:40,920 constitutionnalité. 44 00:02:41,120 --> 00:02:44,520 Toutefois, sur le fondement de la jurisprudence européenne, 45 00:02:44,720 --> 00:02:48,300 eh bien le Conseil d'État se laisse convaincre qu'une avancée 46 00:02:48,500 --> 00:02:52,350 jurisprudentielle assez importante est possible grâce justement à 47 00:02:52,550 --> 00:02:56,850 cette référence aux espérances légitimes et donc à l'article 1P1, 48 00:02:57,050 --> 00:03:01,010 à la notion de bien au sens de l'article 1P1, en considérant que 49 00:03:01,210 --> 00:03:03,240 dans cette situation, pour dire les choses simplement, 50 00:03:03,480 --> 00:03:07,290 la société avait vu en quelque sorte la confiance qu'elle avait 51 00:03:07,490 --> 00:03:11,100 accordée au législateur, à l'État, trahie, pour l'avenir, 52 00:03:11,300 --> 00:03:14,910 certes, mais une parole donnée par le législateur, celle de créer 53 00:03:15,110 --> 00:03:17,760 un avantage pour trois ans en faveur d'un certain nombre d'entreprises 54 00:03:17,960 --> 00:03:20,970 qui se comportaient d'une certaine manière, cette parole avait en 55 00:03:21,170 --> 00:03:25,770 quelque sorte été trahie et c'est donc une confiance que, 56 00:03:25,970 --> 00:03:32,730 légitimement, la société avait pu avoir à l'égard du législateur, 57 00:03:32,930 --> 00:03:36,540 cette confiance légitime, cette espérance légitime de bénéficier 58 00:03:36,740 --> 00:03:39,060 d'un cadeau fiscal pendant trois ans avait été trahie. 59 00:03:39,540 --> 00:03:44,250 Et le Conseil d'État estime qu'en effet, il y a là donc suffisamment 60 00:03:44,450 --> 00:03:49,530 d'éléments factuels, cette loi qui prévoit une durée 61 00:03:49,730 --> 00:03:52,680 déterminée pour un cadeau fiscal en échange d'un certain nombre 62 00:03:52,880 --> 00:03:55,570 de comportements, il y a là une base de confiance. 63 00:03:55,770 --> 00:03:58,140 Cette expression est importante, une base de confiance, 64 00:03:58,340 --> 00:04:02,340 donc quelque chose factuellement de suffisamment tangible pour faire 65 00:04:02,540 --> 00:04:07,860 naître la confiance dans un traitement particulier, que cette base de 66 00:04:08,060 --> 00:04:10,950 confiance donc est suffisante pour que la confiance soit légitime, 67 00:04:11,150 --> 00:04:14,670 ce n'est pas un simple fantasme, ce n'est pas simplement une espérance 68 00:04:15,450 --> 00:04:19,170 purement subjective en ce qu'elle tiendrait à la configuration mentale 69 00:04:19,370 --> 00:04:23,340 de celui qui espère, mais bien à des éléments en réalité 70 00:04:23,970 --> 00:04:29,520 suffisamment objectifs pour que, finalement, un bien ait été créé 71 00:04:29,820 --> 00:04:34,230 à travers donc cette sorte de promesse du législateur, bien donc auquel 72 00:04:34,430 --> 00:04:37,110 l'État porte atteinte dès lors que la loi est revenue sur cette 73 00:04:37,310 --> 00:04:38,070 promesse. 74 00:04:38,370 --> 00:04:42,090 Et donc après avoir constaté l'existence d'un bien attaché à 75 00:04:42,290 --> 00:04:44,640 un dispositif qui n'était pas rétroactif, qui n'était que pour 76 00:04:44,840 --> 00:04:47,670 l'avenir, mais qui quand même portait atteinte à la parole donnée, 77 00:04:48,000 --> 00:04:51,210 le Conseil d'État vient examiner, avec le raisonnement que nous avons 78 00:04:51,410 --> 00:04:55,800 déjà vu, si néanmoins un motif d'utilité publique, un motif d'intérêt 79 00:04:56,000 --> 00:04:59,640 général suffisant ou plus exactement un impérieux motif d'intérêt général 80 00:04:59,940 --> 00:05:02,010 vient ou non justifier cette atteinte au bien. 81 00:05:02,940 --> 00:05:05,760 Et dans cette affaire Société EPI de 2012, donc le Conseil d'État 82 00:05:06,090 --> 00:05:12,120 ne trouve pas de motif impérieux d'intérêt général, de motif légitime, 83 00:05:12,840 --> 00:05:16,650 et considère donc que cette loi viole l'article 1P1. 84 00:05:16,980 --> 00:05:20,250 Il y a bien une atteinte aux biens non justifiée par un motif d'intérêt 85 00:05:20,450 --> 00:05:23,820 général suffisant, par l'utilité publique pour parler comme la Cour 86 00:05:24,020 --> 00:05:26,610 européenne des droits de l'homme ici, et donc au bout du compte, 87 00:05:26,810 --> 00:05:29,370 la société obtient gain de cause et récupère d'une certaine manière 88 00:05:29,610 --> 00:05:34,140 l'avantage auquel elle avait légitimement cru, qu'elle espérait, 89 00:05:34,590 --> 00:05:36,780 notion d'espérance légitime, je le rappelle. 90 00:05:36,980 --> 00:05:41,580 Alors il se trouve que depuis cette décision, il n'y a pas eu des dizaines 91 00:05:41,780 --> 00:05:43,860 et des dizaines de décisions, j'en cite simplement une seconde 92 00:05:44,100 --> 00:05:46,230 importante qui a beaucoup fait parler d'elle parce que les enjeux 93 00:05:46,430 --> 00:05:49,140 financiers étaient importants, c'est la décision rendue à la demande 94 00:05:49,340 --> 00:05:52,650 de la société Vivendi par le Conseil d'État, à nouveau, en plénière fiscale, 95 00:05:52,850 --> 00:05:56,670 le 25 octobre 2017, dans une affaire, alors qui était assez intéressante, 96 00:05:57,000 --> 00:05:59,160 qui reprenait à peu près le même genre de problématique, 97 00:05:59,360 --> 00:06:01,680 avec une promesse non tenue en quelque sorte par l'État, 98 00:06:01,980 --> 00:06:05,640 sauf que dans cette affaire, était concerné alors un régime 99 00:06:05,840 --> 00:06:10,530 fiscal qualifié de régime du bénéfice mondial consolidé, qui permettait 100 00:06:10,950 --> 00:06:14,310 théoriquement à certaines grandes entreprises eh bien d'être imposées 101 00:06:14,790 --> 00:06:19,410 sur, en gros, la somme de leurs bénéfices ou de leur perte à l'échelle 102 00:06:19,610 --> 00:06:22,140 mondiale, ce qui est extrêmement utile lorsque vous gagnez beaucoup 103 00:06:22,340 --> 00:06:24,780 d'argent en France, mais que vos filiales à l'étranger perdent de 104 00:06:24,980 --> 00:06:28,770 l'argent, s'il vous est possible d'imputer ces pertes sur les bénéfices 105 00:06:28,970 --> 00:06:31,320 réalisés en France, alors in fine, vous paierez moins d'impôts en France. 106 00:06:31,650 --> 00:06:34,620 Et c'est ce qui s'était passé avec la société Vivendi qui, 107 00:06:34,820 --> 00:06:38,460 en réalité, en 2011, et c'est l'année, vous allez le 108 00:06:38,660 --> 00:06:41,430 comprendre, importante, était la seule société française 109 00:06:41,630 --> 00:06:44,610 concrètement à bénéficier de ce régime particulier, d'autres sociétés 110 00:06:44,850 --> 00:06:46,980 ne souhaitant pas en bénéficier. 111 00:06:47,310 --> 00:06:51,180 Et il se trouve que pour la société Vivendi, à la suite d'un endettement 112 00:06:51,380 --> 00:06:53,550 très fort pour des acquisitions aux États-Unis notamment, 113 00:06:53,750 --> 00:06:56,550 les studios Universal, bénéficiait donc de ce régime qui 114 00:06:56,750 --> 00:07:01,320 était extrêmement favorable fiscalement pour elle puisque justement, 115 00:07:01,520 --> 00:07:04,500 elle en bénéficiait depuis plusieurs années et devait en bénéficier 116 00:07:04,700 --> 00:07:07,830 encore en 2011, puisque l'administration lui avait accordé, 117 00:07:08,030 --> 00:07:10,920 alors c'est un agrément, je reviendrai sur cette notion, 118 00:07:11,120 --> 00:07:14,850 mais une décision administrative qui vient vérifier finalement que 119 00:07:15,050 --> 00:07:18,450 le demandeur dudit agrément entre bien dans les prévisions de la 120 00:07:18,650 --> 00:07:22,440 loi et c'était le cas, et donc sur le fondement de cet 121 00:07:22,640 --> 00:07:27,060 agrément, eh bien l'administration avait accordé à Vivendi la possibilité 122 00:07:27,260 --> 00:07:29,550 de bénéficier de ce régime fiscal particulier prévu par la loi par 123 00:07:29,750 --> 00:07:32,100 ailleurs, encore pour une année qui était l'année 2011. 124 00:07:32,300 --> 00:07:36,810 Sauf qu'au milieu de l'année 2011, le législateur décide de revenir 125 00:07:37,010 --> 00:07:39,870 sur le mécanisme qui était dans la loi, de le faire disparaître, 126 00:07:40,070 --> 00:07:45,240 considérant qu'il n'a pas une utilité, un intérêt général qui le motive 127 00:07:45,510 --> 00:07:48,950 et donc abroge, là encore, pour l'avenir, ce dispositif. 128 00:07:49,150 --> 00:07:50,370 Et dès lors, évidemment, à la fin de l'année, 129 00:07:50,610 --> 00:07:53,760 lorsque la société a souhaité bénéficier du dispositif, 130 00:07:53,960 --> 00:07:56,790 celui-ci n'existant plus au moment du fait générateur de l'impôt sur 131 00:07:56,990 --> 00:08:02,520 les sociétés, à la fin de l'année 2011, l'administration n'a pas pu 132 00:08:02,720 --> 00:08:04,950 naturellement lui donner satisfaction. 133 00:08:05,150 --> 00:08:08,790 La société Vivendi s'est donc tournée vers les juridictions administratives 134 00:08:09,180 --> 00:08:12,210 et le Conseil d'État, in fine, a considéré, 135 00:08:12,410 --> 00:08:14,970 et vous allez le voir, il y a un petit élément nouveau 136 00:08:15,170 --> 00:08:19,100 par rapport à l'affaire Société EPI, le Conseil d'État a considéré 137 00:08:19,300 --> 00:08:22,440 qu'effectivement, cet acte administratif, cet agrément qui 138 00:08:22,640 --> 00:08:26,490 avait en quelque sorte promis le maintien d'un avantage pour une 139 00:08:26,690 --> 00:08:31,650 année supplémentaire, avait pu créer cette base de confiance qui 140 00:08:31,850 --> 00:08:35,670 est à l'origine donc d'une espérance légitime, l'espérance légitime 141 00:08:35,870 --> 00:08:38,850 de bénéficier une année de plus, encore une fois, de ce régime 142 00:08:39,050 --> 00:08:39,810 favorable. 143 00:08:40,320 --> 00:08:45,270 Et où les choses sont assez intéressantes dans cette affaire, 144 00:08:45,470 --> 00:08:48,120 et la configuration n'est pas exactement la même que dans l'arrêt 145 00:08:48,320 --> 00:08:50,940 Société EPI, c'est que dans l'arrêt Société EPI, c'est la loi elle-même 146 00:08:51,480 --> 00:08:55,500 qui avait promis en quelque sorte le cadeau fiscal pour une durée 147 00:08:55,770 --> 00:09:00,630 déterminée, alors que dans l'arrêt Vivendi, c'était un acte administratif, 148 00:09:00,830 --> 00:09:04,590 finalement, qui était à la base de cette confiance car la loi ne 149 00:09:04,790 --> 00:09:09,750 visait pas spécialement, ne prévoyait pas de durée particulière 150 00:09:09,950 --> 00:09:13,680 a priori, de sorte que c'est seulement grâce à l'acte administratif que 151 00:09:13,880 --> 00:09:14,910 la confiance avait pu naître. 152 00:09:15,110 --> 00:09:18,030 Mais, et où les choses sont intéressantes, c'est que 153 00:09:18,230 --> 00:09:23,310 vraisemblablement, comme le rapporteur public le souligne dans ses conclusions 154 00:09:23,510 --> 00:09:27,330 sur cette affaire, vraisemblablement, pour des raisons techniques que 155 00:09:27,530 --> 00:09:30,690 je ne vais pas développer à ce stade, mais l'agrément était vraisemblablement 156 00:09:30,890 --> 00:09:31,650 illégal. 157 00:09:31,850 --> 00:09:34,650 Il était vraisemblablement illégal car il reposait sur des engagements 158 00:09:34,850 --> 00:09:37,080 réciproques qui, en principe, ne trouvent pas leur place dans 159 00:09:37,280 --> 00:09:38,910 ce type d'acte administratif. 160 00:09:39,110 --> 00:09:43,920 Néanmoins, le fait que potentiellement, l'acte administratif soit illégal, 161 00:09:44,340 --> 00:09:48,180 que cela ne soit qu'un acte de l'administration et pas une loi 162 00:09:48,480 --> 00:09:53,300 qui soit venue créer cette espérance, tout cela est finalement différent. 163 00:09:53,500 --> 00:09:56,170 Il y a bien un bien, pardon pour la répétition, 164 00:09:56,370 --> 00:09:59,580 il y a effectivement un bien derrière, finalement, cet acte administratif 165 00:09:59,860 --> 00:10:04,180 peut-être illégal et cela suffit à créer une espérance légitime. 166 00:10:04,380 --> 00:10:07,240 Alors, toujours la même chose, attention, ne perdons pas de vue 167 00:10:07,440 --> 00:10:12,130 la deuxième étape du raisonnement, espérance légitime, bien donc qui 168 00:10:12,330 --> 00:10:17,020 peut se voir menacé par l'État, il est possible pour l'État de 169 00:10:17,220 --> 00:10:20,560 porter atteinte à une espérance légitime, mais uniquement si un 170 00:10:20,760 --> 00:10:23,340 impérieux motif d'intérêt général vient le justifier. 171 00:10:23,540 --> 00:10:26,800 Or, à nouveau dans cette affaire, le Conseil d'État comme dans l'affaire 172 00:10:27,000 --> 00:10:30,520 Société EPI, considère que, à part un motif financier, 173 00:10:31,060 --> 00:10:34,810 il n'y avait pas véritablement de motif d'intérêt général susceptible 174 00:10:35,010 --> 00:10:39,700 de justifier cette atteinte donc à un bien, et la société Vivendi 175 00:10:39,900 --> 00:10:40,720 obtient satisfaction. 176 00:10:40,930 --> 00:10:44,230 L'enjeu financier pour cette affaire était de l'ordre de 650 millions 177 00:10:44,430 --> 00:10:45,190 d'euros. 178 00:10:45,390 --> 00:10:47,860 C'est de l'ordre, au bout du compte, 340 dans cette décision, 179 00:10:48,060 --> 00:10:50,140 mais il y a un deuxième volet et donc c'est de l'ordre d'un peu 180 00:10:50,340 --> 00:10:53,980 plus de 600 millions d'euros que récupère donc la société Vivendi 181 00:10:54,190 --> 00:10:55,060 dans cette affaire. 182 00:10:55,300 --> 00:11:00,580 Donc on le voit, le Conseil d'État, là, a eu une sorte de courage, 183 00:11:00,780 --> 00:11:03,070 finalement, dans une affaire qui évidemment, politiquement, 184 00:11:03,270 --> 00:11:05,620 était relativement sensible du fait notamment de ses enjeux 185 00:11:05,820 --> 00:11:06,580 financiers. 186 00:11:07,210 --> 00:11:09,340 En conclusion, deux points. 187 00:11:09,760 --> 00:11:13,450 Le premier point est, et je l'ai déjà souligné, 188 00:11:14,890 --> 00:11:18,940 tient au fait qu'on le voit, la jurisprudence du Conseil d'État 189 00:11:19,330 --> 00:11:23,680 n'hésite pas à déployer toutes les potentialités de l'article 1P1, 190 00:11:23,880 --> 00:11:27,370 et parfois même de l'article 14, dans des affaires finalement qui 191 00:11:27,570 --> 00:11:31,180 pourraient être traitées par le biais du contrôle de 192 00:11:31,380 --> 00:11:36,880 constitutionnalité, mais qui peuvent être plus directement aussi traitées 193 00:11:37,330 --> 00:11:41,680 par le biais donc de ce contrôle de conventionnalité, qui a le grand 194 00:11:41,880 --> 00:11:45,760 intérêt d'être mobilisable dès la première instance devant toute 195 00:11:45,960 --> 00:11:50,260 juridiction, notamment fiscale, sans attendre un hypothétique renvoi 196 00:11:50,460 --> 00:11:54,400 au Conseil constitutionnel et surtout avec une jurisprudence qui semble 197 00:11:54,600 --> 00:11:55,360 plus stable. 198 00:11:55,560 --> 00:11:58,060 Alors là, je vous donne un avis assez personnel, mais je crois 199 00:11:58,510 --> 00:12:02,170 très partagé par les praticiens de la fiscalité, c'est que la 200 00:12:02,370 --> 00:12:06,160 jurisprudence du Conseil constitutionnel, depuis les années 201 00:12:06,360 --> 00:12:12,460 2016, 2017, 2018, a eu tendance à perdre peut-être un peu en cohérence 202 00:12:12,660 --> 00:12:16,840 et en lisibilité et en prévisibilité, et de sorte que la QPC, 203 00:12:17,040 --> 00:12:21,070 qui a beaucoup été mobilisée pendant une petite dizaine d'années par 204 00:12:21,270 --> 00:12:25,180 les fiscalistes, est en train de l'être moins et il y a une sorte 205 00:12:25,380 --> 00:12:29,170 de mouvement, finalement, vers l'invocation de la CEDH qui 206 00:12:29,370 --> 00:12:32,590 s'opère depuis quelques années et on peut faire le pari que cela 207 00:12:32,790 --> 00:12:36,130 continuera, tant la jurisprudence du Conseil d'État semble encore 208 00:12:36,330 --> 00:12:39,760 une fois un peu plus prévisible que celle du Conseil constitutionnel. 209 00:12:39,960 --> 00:12:41,740 Ça, c'est le premier point. 210 00:12:41,940 --> 00:12:44,590 Le deuxième point, c'est qu'il ne faut pas non plus penser que 211 00:12:44,790 --> 00:12:47,980 dorénavant, et là, je rebondis sur les arrêts Société EPI et Vivendi, 212 00:12:48,370 --> 00:12:53,440 il ne faut pas non plus penser que le Conseil d'État va considérer 213 00:12:53,640 --> 00:12:57,220 que toutes les lois qui modifient pour l'avenir le traitement fiscal 214 00:12:57,420 --> 00:12:59,650 d'une situation donnée portent atteinte aux espérances légitimes 215 00:12:59,850 --> 00:13:00,610 du contribuable, non. 216 00:13:00,940 --> 00:13:03,070 Le Conseil d'État, dans sa jurisprudence pour le moment, 217 00:13:03,280 --> 00:13:06,580 reste relativement strict dans les modalités d'appréciation de 218 00:13:06,780 --> 00:13:11,470 ce qui est susceptible de porter atteinte à une espérance légitime, 219 00:13:11,670 --> 00:13:14,890 en considérant concrètement, pour le moment, que seuls les 220 00:13:15,090 --> 00:13:18,520 dispositifs qui créent une niche fiscale, un cadeau fiscal, 221 00:13:18,880 --> 00:13:22,270 pour une durée déterminée, sont ceux qui créent des espérances 222 00:13:22,470 --> 00:13:27,130 légitimes qui peuvent évidemment être mis en cause par la loi, 223 00:13:27,330 --> 00:13:29,920 mais avec un motif d'intérêt général suffisant, en tout cas, 224 00:13:30,120 --> 00:13:35,350 la notion de bien et donc d'espérances légitimes susceptibles d'être à 225 00:13:35,680 --> 00:13:38,680 l'origine de la création d'un bien ne porte pour le moment que sur 226 00:13:38,880 --> 00:13:39,670 ce type de dispositif. 227 00:13:39,870 --> 00:13:41,950 Donc a contrario, et c'est cela qu'il faut comprendre, 228 00:13:42,310 --> 00:13:47,920 le fait et des affaires non jugées, le fait qu'un contribuable voit 229 00:13:48,120 --> 00:13:52,420 une loi modifiée sans que cette loi n'ait été annoncée depuis très 230 00:13:52,620 --> 00:13:58,210 longtemps sans donc que le contribuable ait pu deviner que sa situation 231 00:13:58,410 --> 00:14:01,990 allait évoluer, cela, en soi, ne porte pas atteinte à 232 00:14:02,190 --> 00:14:05,770 ses espérances légitimes, sinon, ça interdirait tout simplement 233 00:14:06,070 --> 00:14:08,290 au législateur de changer la loi fiscale, ce qui serait vraiment 234 00:14:08,490 --> 00:14:10,180 un problème démocratique assez fondamental. 235 00:14:11,080 --> 00:14:14,230 Donc le champ d'application, encore une fois s'agissant des 236 00:14:14,430 --> 00:14:18,490 espérances légitimes, n'est pas extrêmement développé, 237 00:14:19,330 --> 00:14:21,160 en tout cas à ce stade. 238 00:14:22,210 --> 00:14:26,950 Troisième remarque, c'est la grande symbiose, si je puis dire, 239 00:14:27,190 --> 00:14:30,610 des jurisprudences constitutionnelles et du Conseil d'État lorsqu'il 240 00:14:30,810 --> 00:14:34,510 applique la CEDH pour le moment, et cela s'est vu notamment dans 241 00:14:34,710 --> 00:14:37,450 une décision que j'ai déjà citée, vous vous en souvenez sans doute, 242 00:14:37,900 --> 00:14:41,260 mais j'étais passé vite dessus, et pour cause, c'est la décision 243 00:14:41,460 --> 00:14:44,140 du Conseil constitutionnel du, je crois que c'est 14 décembre, 244 00:14:44,340 --> 00:14:47,860 j'ai un petit doute sur la date exacte, en tout cas décembre 2013, 245 00:14:48,060 --> 00:14:50,650 qui, vous vous en souvenez peut-être, dans une histoire de contrats 246 00:14:50,850 --> 00:14:55,090 d'assurance vie, vit en fait transposée presque mot pour mot la jurisprudence 247 00:14:55,290 --> 00:14:59,080 Société EPI de mai 2012, pour l'appliquer sur le fondement 248 00:14:59,280 --> 00:15:01,960 de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 249 00:15:02,230 --> 00:15:06,370 à un cas de figure dans lequel donc une loi était venue porter 250 00:15:06,570 --> 00:15:09,550 atteinte à une attente légitime, c'est l'expression qu'emploie le 251 00:15:09,750 --> 00:15:12,700 Conseil constitutionnel, attente légitime des contribuables, 252 00:15:13,510 --> 00:15:16,780 mais donc on voit bien là ce dialogue des juges, pour reprendre une 253 00:15:16,980 --> 00:15:19,960 expression un peu tarte à la crème, mais néanmoins pratique, 254 00:15:20,230 --> 00:15:22,930 ce dialogue des juges entre le Conseil constitutionnel qui, 255 00:15:23,860 --> 00:15:27,450 une bonne année plus tard, s'inspire de la jurisprudence EPI 256 00:15:27,730 --> 00:15:30,940 pour finalement étendre son propre contrôle de constitutionnalité 257 00:15:31,150 --> 00:15:34,600 de certains textes susceptibles de créer des attentes légitimes, 258 00:15:34,800 --> 00:15:36,940 voilà ce que dit le Conseil constitutionnel, des espérances 259 00:15:37,140 --> 00:15:39,070 légitimes, c'est ce que dit le Conseil d'État sur le fondement 260 00:15:39,270 --> 00:15:40,030 de la CEDH. 261 00:15:40,330 --> 00:15:42,580 Quatrième et dernier élément, et j'en terminerai là, 262 00:15:43,240 --> 00:15:46,690 il se trouve que derrière cet arrêt Société EPI, derrière cette prise 263 00:15:46,890 --> 00:15:50,410 au sérieux, finalement des attentes ou des espérances légitimes des 264 00:15:50,610 --> 00:15:53,800 contribuables, on trouve un mouvement extrêmement profond qui n'est pas 265 00:15:54,000 --> 00:15:56,290 propre au droit fiscal, de subjectivisation, 266 00:15:56,890 --> 00:15:59,560 de subjectivisation dans l'application de la règle de droit, 267 00:15:59,860 --> 00:16:05,320 l'idée étant de plus en plus prendre en compte non seulement le caractère 268 00:16:05,650 --> 00:16:09,520 objectivement illégal d'une décision administrative, par exemple, 269 00:16:09,720 --> 00:16:12,670 en confrontant cette décision aux normes qui s'imposent à elle, 270 00:16:12,910 --> 00:16:16,460 dans une logique classique de contrôle de légalité en excès de pouvoir, 271 00:16:16,660 --> 00:16:19,780 ou bien en contrôle de constitutionnalité, le cas échéant, 272 00:16:19,980 --> 00:16:22,990 de la loi où, traditionnellement, il s'agit simplement de confronter 273 00:16:23,190 --> 00:16:26,950 objectivement un texte, une disposition aux normes qui 274 00:16:27,150 --> 00:16:29,260 s'imposent à ce texte ou à cette disposition, dorénavant, 275 00:16:30,550 --> 00:16:33,880 le mouvement conduit a, en quelque sorte, prendre au sérieux, 276 00:16:34,080 --> 00:16:36,490 je crois que l'expression peut être employée, le ressenti, 277 00:16:36,940 --> 00:16:40,390 le ressenti des contribuables et au-delà des citoyens, 278 00:16:40,590 --> 00:16:45,070 c'est-à-dire la manière dont ceux-ci peuvent comprendre, doivent comprendre, 279 00:16:45,270 --> 00:16:50,170 interpréter alors avec ce filtre de la légitimité de cette 280 00:16:50,370 --> 00:16:56,980 compréhension, il ne s'agit pas de donner prise à tous les fantasmes, 281 00:16:57,180 --> 00:16:59,680 et de prendre au sérieux tous les fantasmes éventuels d'un contribuable 282 00:16:59,880 --> 00:17:02,620 qui s'inventerait, qui continuerait de les traiter éternellement de 283 00:17:02,820 --> 00:17:06,100 la même manière, mais dès lors qu'encore une fois, une certaine 284 00:17:06,300 --> 00:17:11,560 légitimité peut être trouvée derrière l'espoir du contribuable, 285 00:17:11,760 --> 00:17:15,640 eh bien cet espoir subjectif par hypothèse dans le for intérieur 286 00:17:15,840 --> 00:17:20,650 du contribuable, cette espérance donc propre au contribuable est 287 00:17:20,850 --> 00:17:25,660 désormais prise au sérieux et intégrée finalement dans le raisonnement 288 00:17:25,860 --> 00:17:29,890 conduisant à opérer un contrôle de légalité et donc la légalité 289 00:17:30,160 --> 00:17:34,540 d'une décision administrative, de plus en plus, eh bien repose 290 00:17:34,750 --> 00:17:36,910 non seulement donc sur des considérations objectives, 291 00:17:37,180 --> 00:17:40,450 mais aussi sur des considérations subjectives, la manière, 292 00:17:40,650 --> 00:17:45,550 je le répète, dont le contribuable, le citoyen, le destinataire globalement 293 00:17:45,750 --> 00:17:51,400 de l'acte ou de la norme, eh bien peut légitimement comprendre, 294 00:17:51,850 --> 00:17:56,230 ressentir finalement la manière dont il a vocation à être traité. 295 00:17:56,430 --> 00:17:59,050 Alors je n'ai malheureusement pas le temps de multiplier les exemples 296 00:17:59,500 --> 00:18:02,170 et les points d'impact de cette jurisprudence qu'on trouve dans 297 00:18:02,370 --> 00:18:04,750 d'autres champs du droit, en matière de responsabilité 298 00:18:04,950 --> 00:18:08,230 administrative, en matière de contrôle des mesures de police également. 299 00:18:08,710 --> 00:18:11,740 Mais c'est là un sujet important sur lequel nous reviendrons au 300 00:18:11,940 --> 00:18:14,230 fil du cours donc je souhaitais à ce stade le souligner.