1 00:00:05,720 --> 00:00:08,630 B : le contenu du jugement. 2 00:00:09,350 --> 00:00:14,840 Le jugement, au sens large, est un acte écrit, rédigé en français, 3 00:00:15,080 --> 00:00:19,490 conformément à l'ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539. 4 00:00:20,030 --> 00:00:26,150 C'est un jugement, c'est un acte écrit, rédigé en français et authentifié 5 00:00:26,350 --> 00:00:30,650 par les signatures requises, conformément aux articles R.741-7 6 00:00:32,210 --> 00:00:34,700 et R.741-9 du Code. 7 00:00:35,480 --> 00:00:39,920 Un jugement doit toujours comporter les indications propres à identifier 8 00:00:40,120 --> 00:00:44,810 les parties, et doit toujours être précédé de la formule "au nom du 9 00:00:45,010 --> 00:00:45,830 peuple français". 10 00:00:46,310 --> 00:00:47,070 L'article L. 11 00:00:47,270 --> 00:00:51,560 2 du Code le rappelle : les jugements sont rendus au nom 12 00:00:51,760 --> 00:00:52,580 du peuple français. 13 00:00:53,390 --> 00:00:59,090 Tout d'abord, d'un point de vue formel, le jugement a longtemps été rédigé 14 00:00:59,290 --> 00:01:03,620 selon la méthode de la phrase unique devant le juge administratif, 15 00:01:03,820 --> 00:01:08,330 c'est-à-dire chaque motif était alors introduit par le terme 16 00:01:08,530 --> 00:01:09,290 "considérant". 17 00:01:09,490 --> 00:01:13,880 Donc, l'énoncé de la motivation n'était pas articulé autour de 18 00:01:14,080 --> 00:01:18,380 phrases séparées par des points, mais par des propositions séparées 19 00:01:18,580 --> 00:01:22,100 par des points-virgules, ce qui pouvait rendre leur lecture 20 00:01:22,300 --> 00:01:24,680 difficile, en particulier pour des non-juristes. 21 00:01:26,060 --> 00:01:29,720 C'est la raison pour laquelle la méthode de la phrase unique a été 22 00:01:30,020 --> 00:01:35,510 abandonnée et qu'un passage au style direct a été décidé pour 23 00:01:35,710 --> 00:01:38,510 la rédaction des décisions juridictionnelles devant le juge 24 00:01:38,710 --> 00:01:42,440 administratif, depuis le 1er janvier 2019. 25 00:01:43,130 --> 00:01:47,450 De plus, le style des décisions du juge administratif a longtemps 26 00:01:47,650 --> 00:01:53,600 été caractérisé par l'imperatoria brevitas, c'est-à-dire par un style 27 00:01:53,800 --> 00:01:58,580 classiquement très concis, très bref, voire sec, 28 00:01:58,940 --> 00:02:05,510 parce que l'idée était, mais est toujours, d'aller droit au but. 29 00:02:06,080 --> 00:02:10,730 La difficulté de ce style, bref, concis, voire sec, 30 00:02:10,930 --> 00:02:15,500 est qu'il nécessite une grande expertise juridique pour comprendre 31 00:02:15,700 --> 00:02:18,530 le sens d'une décision juridictionnelle. 32 00:02:19,220 --> 00:02:23,450 Vous le savez déjà, comparer un arrêt du Conseil d'État à une décision 33 00:02:23,650 --> 00:02:27,320 de la Cour de justice de l'Union européenne, la première fera une 34 00:02:27,520 --> 00:02:30,200 à deux pages, la seconde pourra en faire 20, 30, 40. 35 00:02:30,400 --> 00:02:36,890 Là, se loge l'imperatoria brevitas du Conseil d'État, et du juge 36 00:02:37,090 --> 00:02:39,080 administratif de manière générale. 37 00:02:40,070 --> 00:02:45,530 Pour autant, même si ce style reste le style dominant devant les 38 00:02:45,730 --> 00:02:49,640 juridictions administratives, le juge administratif s'efforce, 39 00:02:49,840 --> 00:02:55,040 depuis le début des années 2000, à s'orienter vers davantage de 40 00:02:55,240 --> 00:02:59,840 pédagogie et de clarté, ce qui conduit à une motivation 41 00:03:00,040 --> 00:03:03,560 parfois plus développée de ces décisions. 42 00:03:05,540 --> 00:03:10,880 C'est notamment ce que traduit le vade-mecum sur la rédaction 43 00:03:11,080 --> 00:03:14,960 des décisions de la juridiction administrative, qui date de 2018, 44 00:03:15,160 --> 00:03:18,380 et qui encourage cette pratique. 45 00:03:18,580 --> 00:03:23,870 Ensuite, d'un point de vue substantiel, et non plus d'un point de vue formel, 46 00:03:24,290 --> 00:03:28,130 vous devez comprendre que tout jugement comporte trois parties. 47 00:03:28,730 --> 00:03:33,290 Première partie : les visas, introduits par le mot "vu". 48 00:03:34,010 --> 00:03:38,060 Deuxième partie : les motifs, autrefois introduits par des 49 00:03:38,260 --> 00:03:44,750 considérants, et introduits depuis 2019 par un "considérant ce qui suit". 50 00:03:44,950 --> 00:03:50,840 Enfin, troisième partie, le dispositif : précédé du verbe 51 00:03:51,040 --> 00:03:54,560 "décide" et rédigé sous forme d'article. 52 00:03:54,760 --> 00:03:58,010 Revenons, tour à tour, sur ces trois parties. 53 00:03:58,610 --> 00:04:00,770 Première partie : les visas. 54 00:04:01,250 --> 00:04:05,180 Les visas correspondent à la première partie du jugement et sont destinés 55 00:04:05,380 --> 00:04:09,020 à renseigner le justiciable sur trois séries d'éléments. 56 00:04:09,560 --> 00:04:12,920 Même si le Conseil d'État admet qu'un jugement n'est pas entaché 57 00:04:13,120 --> 00:04:17,420 d'irrégularités, si des informations se rapportant à ces trois éléments 58 00:04:17,690 --> 00:04:21,290 sont développées non pas dans les visas, mais dans les motifs du 59 00:04:21,490 --> 00:04:25,450 jugement, Conseil d'État, 24 novembre 1967, Labat. 60 00:04:27,360 --> 00:04:28,680 Quels sont ces trois éléments ? 61 00:04:29,160 --> 00:04:35,460 Premier élément : les visas doivent mentionner et analyser les mémoires 62 00:04:35,660 --> 00:04:38,670 échangées par les parties et les pièces produites par elles, 63 00:04:38,870 --> 00:04:43,260 afin de donner une connaissance suffisante de leur contenu. 64 00:04:43,680 --> 00:04:47,820 Ces mentions permettent aux parties de s'assurer que leurs productions 65 00:04:48,020 --> 00:04:49,290 ont bien été prises en compte. 66 00:04:49,980 --> 00:04:53,910 Deuxième élément contenu dans les visas : les visas indiquent les 67 00:04:54,110 --> 00:04:57,810 textes sur lesquels se fonde le juge pour rendre sa décision. 68 00:04:58,320 --> 00:05:02,460 D'une part, les textes relatifs à sa compétence et à la procédure 69 00:05:02,660 --> 00:05:06,780 suivie, et d'autre part, les textes utilisés pour répondre 70 00:05:06,980 --> 00:05:09,540 aux questions de fond du litige. 71 00:05:10,080 --> 00:05:15,150 Troisième élément : les visas doivent mentionner l'accomplissement de 72 00:05:15,350 --> 00:05:19,170 certaines formalités procédurales, comme la convocation à l'audience, 73 00:05:19,470 --> 00:05:21,780 ou encore l'audition d'un rapporteur public. 74 00:05:23,400 --> 00:05:29,190 La deuxième partie du jugement est composée de motifs. 75 00:05:29,610 --> 00:05:34,080 Les motifs correspondant à la motivation du jugement et sont 76 00:05:34,280 --> 00:05:36,900 en quelque sorte l'argumentation retenue par le juge. 77 00:05:37,230 --> 00:05:41,190 Les jugements doivent être motivés en vertu de l'article L. 78 00:05:41,390 --> 00:05:45,180 9 du Code de justice administrative pour les juridictions administratives 79 00:05:45,380 --> 00:05:48,750 générales, et en vertu d'une règle générale de procédure pour les 80 00:05:48,950 --> 00:05:51,150 juridictions administratives spécialisées. 81 00:05:51,540 --> 00:05:54,150 Et vous pouvez voir, par exemple, un arrêt du Conseil 82 00:05:54,350 --> 00:05:58,860 d'État du 8 juin 1994, Lecomte, pour un rappel de cette 83 00:05:59,060 --> 00:06:00,600 règle générale de procédure. 84 00:06:01,620 --> 00:06:06,300 Autrement dit, les juges ne peuvent pas décider d'autorité, 85 00:06:06,630 --> 00:06:10,710 et doivent justifier et expliquer la solution donnée au litige. 86 00:06:10,950 --> 00:06:14,650 Ils sont donc tenus de fonder juridiquement la solution à laquelle 87 00:06:14,850 --> 00:06:18,720 ils parviennent, en indiquant les raisons par lesquelles ils se sont 88 00:06:18,920 --> 00:06:19,680 déterminés. 89 00:06:19,880 --> 00:06:24,780 Aussi, la motivation permet non seulement aux parties de comprendre 90 00:06:24,980 --> 00:06:28,770 les considérations qui ont amené la juridiction à retenir la solution 91 00:06:29,730 --> 00:06:35,850 choisie, mais aussi à la juridiction supérieure d'exercer un contrôle 92 00:06:36,090 --> 00:06:40,470 sur le bien-fondé du jugement en cas d'exercice d'une voie de recours. 93 00:06:41,190 --> 00:06:46,170 La motivation d’un jugement doit être à la fois suffisante et cohérente. 94 00:06:47,040 --> 00:06:51,450 Quant à l'intensité de la réponse apportée aux moyens soulevés par 95 00:06:51,650 --> 00:06:54,840 les parties, il convient de distinguer deux situations. 96 00:06:55,560 --> 00:06:59,580 La première situation est celle du rejet d'une demande au fond, 97 00:06:59,940 --> 00:07:04,380 et la seconde situation est celle d'une admission d'une demande au fond. 98 00:07:04,580 --> 00:07:10,350 Premièrement, en cas de rejet d'une demande, le juge a l'obligation 99 00:07:10,550 --> 00:07:13,350 de répondre à tous les moyens soulevés par les parties. 100 00:07:13,920 --> 00:07:18,450 En effet, lorsque le juge rejette un recours sur le fond, 101 00:07:18,650 --> 00:07:22,680 c'est-à-dire pas au titre de la compétence ou de la recevabilité, 102 00:07:23,130 --> 00:07:28,530 il a l'obligation de répondre à tous les moyens invoqués par le 103 00:07:28,730 --> 00:07:29,490 demandeur. 104 00:07:29,790 --> 00:07:33,810 Attention toutefois, il a l'obligation ni de répondre 105 00:07:34,010 --> 00:07:37,410 à un moyen inopérant, ni de rejeter explicitement un 106 00:07:37,610 --> 00:07:39,240 moyen d'ordre public infondé. 107 00:07:39,440 --> 00:07:46,050 Deuxièmement, en cas d'admission d'une demande, lorsque le juge 108 00:07:46,250 --> 00:07:51,990 fait droit à la demande du requérant, le juge a la faculté de ne statuer 109 00:07:52,190 --> 00:07:54,390 que sur un seul moyen. 110 00:07:54,870 --> 00:07:59,760 C'est ce que l'on appelle la pratique de l'économie de moyens. 111 00:08:00,090 --> 00:08:03,690 Et pour un rappel de ce principe, vous pouvez consulter un arrêt 112 00:08:03,890 --> 00:08:06,600 du Conseil d'État du 29 mai 1963, Maurel. 113 00:08:08,310 --> 00:08:13,620 L'économie des moyens est donc un usage, une pratique, et non un principe. 114 00:08:14,460 --> 00:08:20,340 En cas d'économie des moyens, le juge ne va se baser que sur 115 00:08:20,540 --> 00:08:26,280 un seul moyen, même si d'autres moyens invoqués par le demandeur 116 00:08:26,480 --> 00:08:28,500 étaient également fondés. 117 00:08:30,390 --> 00:08:34,920 Selon la formule usuelle, le juge statue alors sans qu'il 118 00:08:35,120 --> 00:08:39,600 soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête. 119 00:08:40,380 --> 00:08:43,680 Cette pratique, très largement mise en œuvre par le juge, 120 00:08:43,880 --> 00:08:47,370 n'est pas une règle, mais une mise en usage, 121 00:08:48,000 --> 00:08:52,740 et présente l'inconvénient de ne pas en informer pleinement 122 00:08:52,940 --> 00:08:57,630 l'administration sur les autres vices dont cette décision peut 123 00:08:57,830 --> 00:08:59,310 se trouver entachée. 124 00:09:00,180 --> 00:09:06,300 Par exemple, si le juge admet la demande du requérant, 125 00:09:06,500 --> 00:09:11,970 c'est-à-dire si le juge annule une décision pour vice de légalité 126 00:09:12,170 --> 00:09:16,020 externe, mais que cette décision est également entachée d'un vice 127 00:09:16,220 --> 00:09:19,110 de légalité interne, mais que le juge ne se prononce 128 00:09:19,310 --> 00:09:23,790 pas explicitement sur ce moyen : le risque est que l'administration 129 00:09:23,990 --> 00:09:28,410 reprenne la même décision en prenant le soin de respecter les règles 130 00:09:28,610 --> 00:09:32,100 de légalité externe, mais sans savoir que sa décision 131 00:09:32,300 --> 00:09:35,490 était également entachée d'une illégalité interne. 132 00:09:36,360 --> 00:09:40,320 Pour éviter cet inconvénient, la pratique de l'économie des moyens 133 00:09:40,520 --> 00:09:46,320 a été atténuée, voire écartée, tant par le législateur que par 134 00:09:46,520 --> 00:09:49,050 la jurisprudence dans certains litiges. 135 00:09:49,740 --> 00:09:51,630 Par le législateur, tout d'abord. 136 00:09:52,020 --> 00:09:54,990 En contentieux de l'urbanisme, l'article R. 137 00:09:55,190 --> 00:10:00,300 600-4-1 du Code de l'urbanisme contraint le juge à se prononcer 138 00:10:00,500 --> 00:10:05,220 sur l'ensemble des moyens de la requête qu'il estime fondée lorsqu'il 139 00:10:05,420 --> 00:10:08,550 annule un acte intervenu en matière d'urbanisme. 140 00:10:09,750 --> 00:10:11,820 Par la jurisprudence, ensuite. 141 00:10:12,330 --> 00:10:16,470 En effet, je le rappelle, lorsque le juge de l'excès de pouvoir 142 00:10:16,670 --> 00:10:24,090 annule une décision administrative, c'est-à-dire donne raison au requérant, 143 00:10:24,540 --> 00:10:29,700 il peut ne statuer explicitement que sur un seul moyen. 144 00:10:29,900 --> 00:10:37,110 Toutefois, la jurisprudence l'invite à fonder l'annulation sur le moyen 145 00:10:37,380 --> 00:10:42,210 qui lui paraît le mieux à même de régler le litige au vu de l'ensemble 146 00:10:42,410 --> 00:10:43,830 des circonstances de l'affaire. 147 00:10:44,400 --> 00:10:47,520 Cette invitation est notamment rappelée par le Conseil d'État, 148 00:10:47,720 --> 00:10:50,010 dans un arrêt du 21 décembre 2018, Société Eden. 149 00:10:52,110 --> 00:10:56,340 De surcroît, cette jurisprudence, précisément Société Eden, 150 00:10:56,730 --> 00:11:01,890 introduit des exceptions à la liberté du juge de choisir le moyen qu'il 151 00:11:02,090 --> 00:11:06,750 estime le mieux approprié, puisque la jurisprudence Eden reconnaît 152 00:11:06,950 --> 00:11:10,620 notamment au requérant la faculté de hiérarchiser ses moyens. 153 00:11:11,580 --> 00:11:16,980 Plus précisément, le juge doit statuer prioritairement sur la 154 00:11:17,180 --> 00:11:21,270 cause juridique présentée comme principale par le requérant. 155 00:11:21,750 --> 00:11:28,350 Par exemple, le requérant peut présenter comme principale la légalité 156 00:11:28,550 --> 00:11:32,220 interne, c'est-à-dire les moyens qui relèvent de la cause juridique, 157 00:11:32,420 --> 00:11:35,790 qu'est la légalité interne. 158 00:11:36,450 --> 00:11:39,990 Si aucun moyen relevant de la légalité interne n'est fondé, 159 00:11:40,320 --> 00:11:44,880 alors le juge pourra se baser, le cas échéant, sur un moyen relevant 160 00:11:45,080 --> 00:11:47,070 de l'autre cause juridique. 161 00:11:48,210 --> 00:11:55,170 Voilà pour la motivation du jugement exprimé par les motifs qui constituent 162 00:11:55,370 --> 00:11:57,960 la deuxième partie du jugement. 163 00:11:59,070 --> 00:12:05,460 La troisième partie du jugement est le dispositif. 164 00:12:06,750 --> 00:12:10,260 C'est la partie du jugement qui intéresse principalement, 165 00:12:10,460 --> 00:12:12,990 voire exclusivement, le justiciable, parce qu'elle contient 166 00:12:13,190 --> 00:12:15,900 la réponse aux conclusions du justiciable. 167 00:12:16,230 --> 00:12:20,700 Elle peut également comporter d'autres mesures prononcées d'office ou 168 00:12:20,900 --> 00:12:22,230 à la demande des parties. 169 00:12:23,010 --> 00:12:28,080 Dans le dispositif, le juge décide de faire droit ou non aux conclusions 170 00:12:28,280 --> 00:12:32,940 présentées par le requérant, sous réserve d'une incompétence, 171 00:12:33,140 --> 00:12:36,060 d'un non-lieu à statuer, d'un désistement ou d'une 172 00:12:36,260 --> 00:12:37,260 irrecevabilité. 173 00:12:38,010 --> 00:12:43,470 En d'autres termes, dans ce dispositif, le juge décide d'annuler, 174 00:12:43,740 --> 00:12:48,330 de rejeter la requête, de réformer, de prononcer une sanction, 175 00:12:48,720 --> 00:12:54,840 de condamner pécuniairement ou encore de prononcer une injonction 176 00:12:55,040 --> 00:12:58,650 à titre principal contre une personne privée. 177 00:12:58,850 --> 00:13:03,420 Et j'insiste lourdement : une injonction à titre principal 178 00:13:03,620 --> 00:13:04,920 contre une personne privée. 179 00:13:05,120 --> 00:13:09,660 Comme, par exemple, l'ordre d'évacuer une dépendance domaniale indûment 180 00:13:09,860 --> 00:13:12,570 occupée par une personne privée sans titre. 181 00:13:13,590 --> 00:13:16,890 En revanche, en vertu d'une jurisprudence ancienne, 182 00:13:17,090 --> 00:13:20,250 qui remonte en réalité à l'instauration de la justice déléguée, 183 00:13:20,760 --> 00:13:24,930 le Conseil d'État considère qu'il n'appartient pas au juge administratif 184 00:13:25,130 --> 00:13:27,870 d'adresser des injonctions à l'administration. 185 00:13:28,380 --> 00:13:30,960 Vous pouvez voir, pour un récent rappel de ce principe, 186 00:13:31,260 --> 00:13:34,790 un arrêt du Conseil d'État du 28 février 1996, Fauqueux. 187 00:13:37,470 --> 00:13:41,220 Le juge ne peut pas prononcer, à l'égard de l'administration, 188 00:13:41,850 --> 00:13:47,070 ni une injonction à titre principal, ni une injonction d'exécution, 189 00:13:47,610 --> 00:13:52,050 en dehors des cas et des conditions prévues par la loi. 190 00:13:52,650 --> 00:13:57,570 Autrement dit, vous ne pouvez pas saisir le juge administratif de 191 00:13:57,930 --> 00:14:04,470 conclusions dont l'objet principal est le prononcé même d'une injonction 192 00:14:04,740 --> 00:14:06,660 contre l'administration. 193 00:14:07,620 --> 00:14:11,940 Par exemple, sont irrecevables les conclusions visant à ce qu'il 194 00:14:12,140 --> 00:14:16,920 soit ordonné à l'administration, à titre principal, d'admettre le 195 00:14:17,120 --> 00:14:21,570 requérant dans un établissement, ou encore les conclusions visant 196 00:14:21,770 --> 00:14:25,650 à ce qu'il soit ordonné à l'administration, à titre principal, 197 00:14:25,920 --> 00:14:29,420 de réintégrer un agent dans un logement de fonction, 198 00:14:29,690 --> 00:14:34,520 ou encore de réexaminer une décision, ou encore de rétablir une ligne 199 00:14:34,820 --> 00:14:35,700 téléphonique. 200 00:14:36,860 --> 00:14:42,980 En somme, le juge ne peut pas prononcer une injonction à titre principal 201 00:14:43,340 --> 00:14:48,320 ou une injonction à titre d'exécution de la chose jugée contre 202 00:14:48,520 --> 00:14:49,400 l'administration. 203 00:14:49,850 --> 00:14:54,860 Il ne le peut que dans les cas prévus par la loi elle-même. 204 00:14:55,880 --> 00:14:57,410 Quels sont ces cas ? 205 00:14:58,070 --> 00:15:03,710 D'une part, les hypothèses principales d'injonction à titre principal 206 00:15:04,820 --> 00:15:10,130 à l'encontre de l'administration sont le référé-liberté, le référé 207 00:15:10,330 --> 00:15:12,140 mesures utiles et le référé pré-contractuel. 208 00:15:13,190 --> 00:15:19,490 Dans ces cadres, la loi habilite le juge à prononcer des injonctions 209 00:15:19,690 --> 00:15:22,940 à titre principal contre l'administration. 210 00:15:24,140 --> 00:15:28,820 D'autre part, les principales hypothèses d'injonction d'exécution 211 00:15:29,360 --> 00:15:33,770 de la chose jugée sont celles prononcées sur le fondement de 212 00:15:33,970 --> 00:15:34,730 l'article L. 213 00:15:34,930 --> 00:15:36,140 911-1 et L. 214 00:15:36,340 --> 00:15:37,580 911-2 du Code. 215 00:15:38,180 --> 00:15:43,040 En effet, et vous le savez, depuis la loi du 8 février 1995, 216 00:15:43,240 --> 00:15:47,300 plusieurs fois citée, le juge peut assortir la décision 217 00:15:47,500 --> 00:15:51,470 prise à titre principal, en pratique une annulation, 218 00:15:52,010 --> 00:15:56,420 d'une injonction d'exécution qui consiste à préciser à l'administration 219 00:15:56,620 --> 00:16:00,590 la manière dont elle doit tirer les conséquences de sa décision. 220 00:16:01,310 --> 00:16:07,250 Jusqu'à la loi du 23 mars 2019, le juge ne pouvait pas mettre en 221 00:16:07,450 --> 00:16:09,410 œuvre ce pouvoir d'injonction d'office. 222 00:16:09,710 --> 00:16:13,490 Il ne pouvait donc mettre en œuvre ce pouvoir d'injonction qu'à la 223 00:16:13,690 --> 00:16:16,400 condition d'avoir été saisi de conclusions, en ce sens, 224 00:16:16,600 --> 00:16:17,720 par le requérant. 225 00:16:18,440 --> 00:16:22,280 Il s'ensuivait qu'il ne pouvait pas proposer de sa propre initiative 226 00:16:22,480 --> 00:16:26,060 une injonction d'exécution, dans l'hypothèse où le requérant 227 00:16:26,260 --> 00:16:28,790 oubliait de formuler une telle demande. 228 00:16:28,990 --> 00:16:34,820 Désormais, et depuis cette loi du 23 mars 2019, les articles L. 229 00:16:35,020 --> 00:16:36,320 911-1 et L. 230 00:16:36,520 --> 00:16:41,030 911-2 prévoient que le juge peut exercer d'office ce pouvoir, 231 00:16:41,230 --> 00:16:45,080 c'est-à-dire sans même avoir été saisi de conclusions en ce sens. 232 00:16:45,500 --> 00:16:49,070 La loi distingue deux situations dans lesquelles le prononcé d'une 233 00:16:49,270 --> 00:16:50,810 injonction est possible. 234 00:16:51,010 --> 00:16:55,430 Premièrement : la situation prévue par l'article L. 235 00:16:55,630 --> 00:16:56,390 911-1. 236 00:16:56,660 --> 00:16:58,220 Cette situation est la suivante. 237 00:16:58,670 --> 00:17:03,860 L'administration se trouve en situation de compétence liée pour tirer les 238 00:17:04,060 --> 00:17:05,870 conséquences de la décision. 239 00:17:06,380 --> 00:17:10,550 En d'autres termes, elle n'a aucune marge de manœuvre, elle doit prendre 240 00:17:10,750 --> 00:17:12,590 une décision dans un sens déterminé. 241 00:17:13,220 --> 00:17:17,870 Dans ce cas, le juge lui enjoindra de prendre cette décision, 242 00:17:18,230 --> 00:17:21,500 le cas échéant, en fixant un délai pour son édiction. 243 00:17:22,010 --> 00:17:27,590 Par exemple, l'administration qui a révoqué irrégulièrement un agent 244 00:17:27,950 --> 00:17:33,230 verra cette révocation annulée par le juge, puis se verra enjointe 245 00:17:33,430 --> 00:17:36,260 par le juge de réintégrer cet agent. 246 00:17:37,010 --> 00:17:41,000 Autre exemple : l'administration a refusé illégalement la communication 247 00:17:41,200 --> 00:17:42,440 d'un document administratif. 248 00:17:42,830 --> 00:17:47,060 Le juge, à titre principal, annulera le refus de communication, 249 00:17:47,390 --> 00:17:51,980 puis enjoindra, à titre complémentaire, à titre d'exécution de la chose jugée, 250 00:17:52,310 --> 00:17:53,330 la communication. 251 00:17:53,530 --> 00:17:58,400 Dernièrement, l'administration refuse à tort, par exemple, 252 00:17:58,600 --> 00:17:59,450 un visa d'entrée. 253 00:18:00,050 --> 00:18:04,820 Le juge annulera, à titre principal, le refus de visa et enjoindra, 254 00:18:05,300 --> 00:18:08,600 à titre complémentaire, à titre d'exécution de la chose jugée, 255 00:18:08,930 --> 00:18:11,300 la délivrance de ce visa. 256 00:18:12,350 --> 00:18:15,790 Seconde situation : celle prévue par l'article L. 257 00:18:15,990 --> 00:18:17,390 911-2 du Code. 258 00:18:17,870 --> 00:18:21,050 Dans cette situation, l'administration dispose d'un pouvoir 259 00:18:21,250 --> 00:18:23,930 d'appréciation pour tirer les conséquences de la décision, 260 00:18:24,130 --> 00:18:28,790 c'est-à-dire que le jugement implique nécessairement que l'administration 261 00:18:29,090 --> 00:18:33,500 prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, 262 00:18:34,010 --> 00:18:34,770 par elle. 263 00:18:35,210 --> 00:18:38,690 Dans ce cas, le juge enjoindra l'administration de prendre une 264 00:18:38,890 --> 00:18:41,960 nouvelle décision dans un délai déterminé. 265 00:18:42,440 --> 00:18:47,000 Par exemple : l'administré a formulé une demande à l'administration 266 00:18:47,200 --> 00:18:49,280 et celle-ci lui a opposé un refus. 267 00:18:49,850 --> 00:18:54,560 Le juge, s'il estime que ce refus est illégal, annulera le refus 268 00:18:54,860 --> 00:18:58,710 et enjoindra l'administration de statuer de nouveau sur la demande 269 00:18:58,910 --> 00:19:04,070 après une nouvelle instruction, et à la lumière des motifs du jugement. 270 00:19:04,910 --> 00:19:09,770 Deux dernières précisions sur ce pouvoir d'injonction en exécution 271 00:19:09,970 --> 00:19:10,760 de la chose jugée. 272 00:19:11,240 --> 00:19:13,610 Première précision : le juge, vous le savez, 273 00:19:14,030 --> 00:19:17,630 se place au jour du jugement pour apprécier s'il y a lieu de faire 274 00:19:17,830 --> 00:19:19,520 droit à la demande d'injonction. 275 00:19:19,720 --> 00:19:20,480 Pourquoi ? 276 00:19:20,680 --> 00:19:23,930 Parce qu'il doit se fonder sur la situation de fait et de droit 277 00:19:24,230 --> 00:19:28,360 qui existe au jour où il statue, pour tenir compte des éléments 278 00:19:28,560 --> 00:19:32,830 de fait et de droit intervenus postérieurement à la décision annulée. 279 00:19:33,130 --> 00:19:37,870 Ce que rappelle un arrêt du Conseil d'État du 4 juillet 1997, 280 00:19:38,170 --> 00:19:38,940 Bourezak. 281 00:19:39,850 --> 00:19:44,200 Seconde précision : le juge peut assortir son injonction d'une 282 00:19:44,410 --> 00:19:46,940 astreinte, conformément à l'article L. 283 00:19:47,140 --> 00:19:52,510 911-3 du Code, notamment s'il pense se heurter à une résistance de 284 00:19:52,710 --> 00:19:56,590 l'administration dans l'exécution de la décision.